François Verret, entre magie et exorcisme
Le chorégraphe François Verret ne devait pas être sur le plateau de Raptus, sa nouvelle pièce avec trois danseuses, à l’affiche jusqu’au samedi 31 mars à la Grande Halle de La Villette, à Paris. Il s’y glisse finalement, et c’est une bonne chose. Une évidence aussi, tant la scène colle à la peau de cet ancien étudiant en architecture et semble lui dicter parfois sa conduite spectaculaire.
Sans précautions, sans apprêt non plus – il porte une veste informe comme s’il intervenait à l’improviste -, il s’assoit devant un micro et parle doucement. Le sujet de ce chorégraphe de plus en plus sociologue au fil du temps : la débâcle d’une société livrée à son appétit de plaisir et de sensationnel. Une fois encore, on ne le reconnaît pas immédiatement. Une fois de plus, sa voix, que l’on a entendue gueuler, crisser, marteler, remplit l’espace en coloriant au noir l’ensemble disparate du plateau – fringues multicolores jetées au sol et corps féminins sous haute tension. Sa présence, très ponctuelle, toujours un peu de guingois comme s’il n’était pas bien sûr d’une prestation surgissant comme par défaut, rassemble les éclats coupants du spectacle. Plus intimement, Verret rappelle combien la scène est à la fois un espace mental et un lieu d’artisanat, là où il projette les images blessées qui l’habitent, là où il les triture en bois, en métal, en rond ou en
carré. Toucher, manipuler, activerles rouages et les objets font partie de la formule magique du théâtre de Verret. C’est dans ce va-et-vient entre projections et réalités que cet artiste trouve une résolution momentanée à ce qui le préoccupe. Ordonner et régir le plateau, endosser la responsabilité d’une pièce, deviennent une forme d’exorcisme et de domination illusoire d’un monde qui file droit dans le mur. Jusqu’au prochain spectacle.
Rosita Boisseau, Le Monde – 26.03.2012