article de presse_ice_raymon paulet 2018-02-08T12:27:15+00:00

Ice, par Raymond Paulet

François Verret monte Ice, une écriture scénique inspirée de l’œuvre éponyme de la grande voyageuse anglaise et héroïnomane Anna Kavan. Peut-être en est-il de l’écriture de François Verret ce qu’il en est du rhizome : région continue d’intensité, vibrant sur elle-même, et qui se développe en évitant toute orientation sur un point culminant ou vers une fin extérieure. Sur les plateaux François Verret développe cet art de faire parler ce qui d’habitude ne s’exprime pas par des mots.

Ice est pétrie de ces matières-là : mots et silences, corps et souffles, voix et chants, grain et fluidité, forces et fulgurances, transparences et opacités, velours et tulles… Epaisseurs de sens dans lesquelles le doute se substitue à l’assurance, l’espace scénique est modelé par l’élasticité, où l’on touche à un point de suspension au-delà de toute syntaxe. Alors que François Verret est encore en recherche, que faut-il croire, que faut-il savoir, à l’entendre en parler ? Alors qu’il nous livre des pistes qui ne sont pas des appuis, d’autres qui pourraient en être, alors qu’il faut se méfier des effets de sens comme d’une langue qui pétrifie. Ce jour-là Verret tient Ice en une formule : un concert trash. Ce jour-là…

Point de départ il y a, pas un centre, le roman d’Anna Kavan, Ice, qui décrit une débâcle glaciaire. Ecrit par une femme libre, solitaire et héroïnomane, Ice raconte un monde en proie à un cataclysme qui saisit, fige le vif, contamine les esprits. Libère les pulsions ?

Sur cette toile de fond (métaphore de ce qui gangrène notre monde ?) apparaissent les figures d’un narrateur, témoin ou voyeur, d’une femme plurielle, « a girl », d’un homme qui l’a aimé et l’aime encore, d’un maître, inscrits dans des rapports de soumission et de domination dans une sorte de mouvement perpétuel. Sans résolution ? Destinées soumises donc à ces forces intérieures ainsi qu’au chaos extérieur… Ice tisse les questions du désir masculin, peut-être tyrannique, de la victime « ligne de force sourde qui court sous l’écriture scénique, qui excède le dicible mais qui fait partie du nerf du plateau », de l’addiction sous différentes formes.

François Verret ne convoque pas, il invite à sa table de travail le Sacher-Masoch de Deleuze, les Fragments d’un discours amoureux de Barthes, le flou ambigu des photographies de Mickael Ackerman, les tessitures de Nina Hagen et Nina Simone… Mais surtout ses complices, danseurs, chanteurs, musiciens, tendus dans la réalisation d’une œuvre sensible et sensuelle, où quelque chose se révèle sans trahir aucun secret.