ART ET ÉDUCATION 2018-02-21T22:32:45+00:00

ART ET ÉDUCATION

  1. PENSER, INVENTER DIVERSES FORMES DE MEDIATION ARTISTIQUE…

À la question « souhaitons-nous tenter d’éclairer le spectateur sur ce qui se joue
dans le spectacle que nous proposons, que nous offrons…? »
La réponse est oui !
Nous pourrions seulement faire le pari du choc esthétique, émotionnel et
choisir que chacun rencontre l’oeuvre sans aucune préparation !
Cependant le plus souvent, particulièrement quand nous rencontrons des jeunes gens
(de la classe de 6ème à la Terminale…) nous préférons penser, inventer diverses formes de médiation artistique que nous partageons avec eux, tant en amont, qu’en aval du spectacle.

Et alors les questions de sens nous semblent essentielles.
C’est particulièrement vrai dès que l’on cherche à s’adresser à des personnes
qui n’ont pas nécessairement les clefs de lecture du spectacle,
jeunes gens…d’ici ou d’ailleurs…enfants allophones…
personnes issues de milieux sociaux n’ayant aucunement acquis la capacité de
décrypter certains codes mis en jeu sur scène…

Leur dire ce qui se joue dans un processus de création est important.

Pourquoi ? Et bien parce qu’à nos yeux ce dire peut cheminer
en chacun de celles et ceux à qui nous nous adressons…
en chacun des spectateurs… ceci sera d’autant plus vrai si cette parole émane
de plusieurs d’entre nous, qui sommes engagés dans la création…
L’accueil du spectacle peut s’en trouvé modifié…

Certains éducateurs… animateurs… enseignants…
« personnes-relais »… spectateurs émancipés… passeurs…
sont vivement intéressés, passionnés par cette démarche
(disons qu’« ils y croient… »)
ils croient à ce désir d’éclairer la teneur des enjeux de notre travail,
aux yeux de celle-celui, profane, qui n’en a pas connaissance…
qui ignore…qui ne sait pas pourquoi nous faisons ce que nous faisons,
et à quelle(s) fin(s), avec quelles intentions, quels objectifs ?

Dès lors, comment trouver les mots justes qui éclairent…
les enjeux de la forme artistique autour de laquelle nous travaillons ?
« les mots justes »…ces assemblages, agencements, compositions de mots,
groupes de mots qui essaient de nommer ce qui se joue là, sur scène…
dont on sait précisément que, pour une grande part, c’est…indicible !

  1. FABRIQUER LES RECITS DE CE QUI SE PASSE…

Quand nous commençons un processus de création de spectacle,
c’est toujours avec une intention, même s’il est vrai que celle-ci
peut être perçue comme « vague », « trouble », « floue », « obscure »…

Partons donc de là : essayons de dire quelle est notre intention,
autrement dit, notre rêve, notre pari…

L’on peut alors aisément comprendre ou du moins pressentir que pour ce faire,
il est préférable qu’il n’y ait aucune pression extérieure (fût-elle intériorisée !)
C’est alors seulement que nous pouvons nous en remettre à la possibilité d’assumer nos doutes (sans les
dramatiser outre mesure !) et suivre quelques intuitions intérieures…

Dans nos tentatives de médiations artistiques, nous faisons le récit de
ce qui se passe lors du processus de création, du début de notre travail,
au moment où celui-ci bégaie…
– « tout craque, tangue et se disloque
le ciel bourdonne de métaphores
par où commencer… ? »
disait le poète Osip Mandelstam —
jusqu’à…la fin (temporaire !) de « l’aventure »,
ce moment où le spectacle est créé…

D’emblée, nous nous dédions au « mouvement d’exploration permanente de l’espace du doute », nous
procédons pas essais, empirismes de toutes sortes…
nous tentons d’éclairer par des mots, les enjeux de ce qui se joue sur scène,
nous offrons au spectateur une expérience active, bien distincte des pratiques de consommations courantes, qui elles, sont passives (!).
nous lui proposons de s’engager activement :
mettre en jeu son imagination, sa pensée critique, associer, réfléchir…
ressentir à partir de sa propre subjectivité…
Ce moment de rencontre avec une « nourriture spirituelle » est un moment singulier,
le spectateur est alors convié à jouer librement avec son imaginaire.

C’est la règle du jeu : le spectacle ouvre en chacun l’espace d’une libre interprétation.

  1. MISE EN JEU D’UNE AUTHENTICITE SUBJECTIVE…

Nous pensons souhaitable d’inciter les publics,
à cultiver le désir d’un va-et-vient entre deux positions,
celle de « spectateur » et celle d’« acteur »,
deux positions… deux champs d’expériences… deux manières de s’engager…
chacune nourrissant l’autre…

C’est probablement parce que nous avons l’intime conviction que
la position de spectateur se nourrit de celle d’acteur…
que nous proposons des ateliers d’expression(s) ouvert à tous.
C’est afin que chacun puisse ciseler une expression (!) qui l’engage…
expression d’un état intérieur, d’un mouvement de pensée, d’une vision, d’un ressenti…
Tant de locutions pourraient essayer de nommer
ce qui se joue dans ce moment dit d’ex-pression, que ce soit via la langue
(mots, dits, écrits, parlés-chantés…), la musique, le chant,
ou…la danse, le théâtre, la lumière, le son…

Dans ces actes d’expression qui peuvent engager pleinement chaque personne,
ce qui importe c’est la subjectivité, l’authenticité subjective…

Quand nous affichons que notre atelier est ouvert à tous…
nous sommes bien conscients du fait que nous faisons là une promesse :
celle d’offrir à chacun un accès à l’espace de libre expression…

Que voulons-nous dire par ces mots atelier ouvert à tous ?
Nos ateliers sont gratuits (ils pourraient ne pas l’être !)
Nos ateliers sont destinés à tous ceux et celles qui le souhaitent
et non pas réservés à des populations prédéterminées qui constitueraient
« nos publics captifs » (!)

Nous sommes convaincus que le désir est la clef de tout,
le désir… oui, et non pas…l’obligation morale !
L’acte d’ex-pression n’est pas l’effet d’une opération « mécanique-automatique » programmée (!) mais le fruit d’un désir, non le fait d’une routine fade…

« Eveiller le désir » est un véritable travail de médiation…
qui se construit dans un rapport sensible au temps…peu à peu,
dans la durée.
Il s’agit d’éveiller curiosité… confiance… désir d’essayer pour voir…
Il s’agit d’inviter certaines personnes « hors cadres »,
à venir… participer d’une manière ou d’une autre…
Pour enclencher ce mouvement de désir, il faut être plusieurs…
éducateurs… enseignants… passeurs… médiateurs… artisans… artistes…
et travailler ensemble…

  1. « POUR UNE MORALE DU MINORITAIRE »…

Alors bien sûr, nous nous demandons comment faire ?
Que pouvons-nous faire en amont de toute expérience sur le terrain ?
Ce qui devrait être fait, pensons-nous, excède souvent les moyens dont nous disposons…
Il y faudrait plus de temps…de désir…d’équipes…de « moyens techniques », d’argent…
de partages (vrais !) des raisons qui fondent les alliances et partenariats dans lesquels nous nous engageons…

Il faudrait avant tout voir ensemble comment fonder un nouveau rapport au temps…
en attendant, nous faisons ce que nous pouvons,
et assumons de ne pouvoir faire plus.
Parfois, c’est inévitablement déceptif ou décourageant !
Nous savons bien que ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan…
Cependant, ce très peu existe et aide à vivre, quelques personnes, au moins…
quelques uns, quelques unes…
Ici la logique comptable du nombre ne fonctionne pas !

Nous pouvons dire simplement qu’il se passe intérieurement en quelques personnes
quelque chose de bien « réel »… qui n’est pas quantifiable !
Ce n’est pas rien, ne serait-ce qu’à l’échelle du symbolique.

Ce que nous faisons, n’est pas évaluable selon les critères quantitatifs habituels,
cela fait son chemin en chacun…
Qui sait alors ce qui peut arriver après, plus tard, un jour peut être, chez l’une ou l’un
de ces jeunes qui perçoit ce qui se joue dans le fait de pouvoir s’exprimer librement…

En effet, l’espace de libre expression existe… ô combien !
Nous avons (encore !) cette chance dans ce pays,
une chance, que d’autres ailleurs, n’ont pas,
nous travaillons à ce que chacun d’où qu’il vienne…
(et sans aucune démagogie !) puisse s’engager
dans cet espace de libre expression accessible, « ici et maintenant »…

Nous sommes convaincus que découvrir cela peut en aider plus d’un à vivre…

  1. CONDITIONS NECESSAIRES POUR QUE NOS ATELIERS D’EXPRESSION AIENT « REELLEMENT » UN SENS…

Nous pourrions évoquer ces détails qui font que
quelque chose d’assez rare, de précieux, de sensible, de profond, d’authentique…
engageant la subjectivité de chacun, peut surgir, exister, et s’épanouir…
Souvent, cela tient à trois fois rien…(!)
à un détail qui fait tout, à l’exercice d’un non vouloir…
au fait de préserver un temps vacant, flottant… un temps de rêverie,
où l’imaginaire peut dériver, associer librement…
un temps non conduit, non volontariste,
un véritable temps libre qui ouvre l’espace de l’écho…en soi, en chacun,
de ce qui est mis en jeu dans l’atelier auquel plusieurs êtres participent…

Après coup… après que l’atelier d’expression ait eu lieu,
nous veillons, (nous, enseignants, artistes, équipes des lieux d’accueil…)
à préserver l’existence d’un temps indéterminé, « non déjà affecté »…
espace-temps de résonance…actif, « réel »…
où chacun se remémore ce qui s’est passé en atelier,
associe librement…écrit, dessine…
voyage imaginairement…

Ceci étant dit, s’il y a trop d’injonction(s) à produire sans cesse,
de préoccupation d’un rendement, trop d’ « occupationnel »…
alors, il ne peut rien se passer…
S’il n’y a pas assez d’engagement de soi, de don à perte, d’écoute,
de bienveillance, d’attention, de gratuité, d’inventivité …de notre part, à tous,
cela ne peut pas fonctionner non plus (!),
dans un cas comme dans l’autre,
rien de profond ne saurait advenir, rien qui émane de l’intérieur de chacun…
et donc rien qui à nos yeux, vaille la peine !

Dans notre travail commun, nous essayons de voir ensemble comment
une image, un mot, quelques mots, une situation, une mise en jeu vécue par les participants d’un atelier d’expression peuvent résonner en chacun et travailler l’imaginaire…
Ça n’est jamais une affaire acquise, à l’avance, d’emblée,
une fois pour toutes, ça n’est pas « automatique » !
Non, c’est fragile, précaire…
A chaque instant, il y a un ou plusieurs « détails » essentiels qui font que ça peut marcher, ou non !

La vision des enjeux de nos ateliers se doit d’être réellement partagée entre nous tous, artisans-artistes, équipes
pédagogiques, élèves, participants, équipes des lieux d’accueil…
qui inventons ensemble les conditions d’un travail en commun.

  1. QUESTIONS DE RESPONSABILITÉS…

Notre projet est artistique… éducatif… civique… politique…
Il importe qu’il y ait un débat permanent entre tous les participants
autour de la nature du projet tel qu’il s’énonce,
sa teneur, ses enjeux, sa pertinence, ses conditions de faisabilité…

Pour qu’il se réalise au mieux, il nous faut mettre sur pied une méthode claire,
que les lieux de travail soient des «outils en ordre de marche »,
avec une équipe réelle (non fictive !), ayant réellement un « sens d’équipe »…
cultivant une fluidité relationnelle entre les personnes engagées sur le projet …
chacune ayant une vision clairement définie de sa mission, son rôle,
ses fonctions, ses responsabilités…
celles-ci devant patiemment être réinterrogées au fil du temps.

Il nous faut inventer des dispositifs singuliers liés à la spécificité de chaque territoire,
prendre en compte histoire(s), héritage(s) émanant du Passé collectif, (et individuel)
inventer des formes spécifiques d’organisation du travail, de partage et répartition des taches,
des responsabilités…

Il nous faut fonder un rapport clair à l’autorité,
veiller à la plasticité de celle-ci, qu’elle soit liée à une vision éthique
voir ensemble qui incarne cette autorité, diffuse, comment elle se partage,
et s’énonce…en actes…

Quoiqu’il en soit, pour que cela fonctionne, où que l’on soit, ici et ailleurs…
Il nous faut veiller à ce que chacun ait désir et capacité de laisser résonner en soi ce qui a été mis en jeu par l’un ou l’autre d’entre nous…
cela suppose humilité… autodiscipline… sens autocritique… attention… humour…

Cet espace temps de résonance réciproque n’a nul besoin d’être décrit par des mots.
Quand les choses sont possibles, cela est perceptible par tous,
c’est qu’il y a existence d’un espace-temps suspendu…
ce que le poète Bruno Schutz appelait « espace de temps retardé »…
écoute réelle, échanges…
Ceci engage la responsabilité de chacun.

L’enjeu pour nous tous est d’apprendre : apprendre à freiner quelque chose pour qu’autre chose advienne, ait une chance d’advenir…
Et si autre chose surgit de la part des personnes qui participent à nos ateliers,
alors nous dirons volontiers que c’est lié à… une sorte d’état de grâce…
qu’un ange passe (!)…etc

Il s’agit simplement d’honorer en actes sensibles les conditions d’apparition
de la libre expression de chacun…

  1. LIEU OU LE POLITIQUE ET LE POETIQUE DIALOGUENT EN ACTES, SANS CESSE.PETITES UTOPIES.

Le danger aujourd’hui serait dans le fait que nous abandonnions certaines positions…
notamment la position qui consiste à croire à certaines utopies…
Mais attention (!) la croyance en de « grandes utopies » aura fait tant de dégâts dans nos vies passées et présentes…désormais, il ne saurait être question que de « petites utopies »…
voir ensemble lesquelles, concrètement sur le terrain, là où nous vivons, et travaillons.

Nous ne pensons pas qu’il puisse être souhaitable de renoncer au concept même d’utopie…
par contre il est essentiel d’essayer d’élucider ce que nous entendons être une petite utopie féconde, et non aliénante…

Veillons à ne pas abandonner certaines positions de vigilance, quant aux actes qui engagent chacun concrètement, à tout moment, à tout endroit.
N’abandonnons pas la bataille…bataille qui consiste à résister à certaines conceptions mortifères de la vie, qui nous poussent (et oui, il s’agit bien de pressions !)
à souhaiter nous adapter au monde tel qu’il est !

En fait, disons-le clairement : ce monde qui sollicite notre consentement tacite (muet de préférence !) et attend de nous que nous nous adaptions à lui, n’est plus notre monde…
Le dire est intéressant car cela ouvre un espace de pensée lié à l’expérience d’une dépossession… c’est ce que nous vivons intimement, le sentiment de dépossession…

Pensons et disons haut et fort quels sont les termes des accords qui nous lient aux Instances de Pouvoir.
De quoi nous sommes redevables vis à vis des Puissances Publiques ou Privées
avec lesquelles nous contractualisons ?
Quels sont les termes du contrat qui nous lie ?

Un temps d’arrêt devant ces questions nous paraît important,
il permet de voir ensemble comment fonder le présent, l’avenir
sur de vrais accords et non sur de perpétuels malentendus !
(tout en sachant que certains malentendus peuvent être féconds…)